Francesca Piqueras - Photographies
Exposition du 29 septembre au 28 octobre 2023
FRANCESCA PIQUERAS
Francesca Piqueras a, une décennie durant, photographié d'étranges fossiles technologiques échoués sur les rivages des mers et des océans du globe. Elle est entrée, avec nous, dans l'Anthropocène. Une ère façonnée par l'homme, une époque au sens géologique où les traces d'une activité industrielle en perpétuel renouvellement se lisent à l'œil nu, à même la surface du globe, sans qu'il soit nécessaire d'explorer les strates d'un âge disparu. Nul archéologue ne se penchera sur ces carcasses : elles appartiennent à un présent qui transforme, engloutit et régurgite dans un même élan les obscurs outils d'un âge de fer et de béton. Sa vision sensible continue d'interroger sans le juger ce conflit incessant entre construction et déliquescence, création et effondrement, où nature et humanité s'affrontent en un combat sans vainqueur.
Francesca Piqueras sait capter le jeu subtil entre équilibre et déséquilibre, entre ordre et entropie. Ses cadrages animent et mettent en tension les flux antagonistes qui s'ignorent et se combattent, coexistent et se répondent : d'un côté, l'inventivité prodigieuse de l'homme, de l'autre, la puissance irrépressible de la nature. En créant ainsi une dimension à la fois objective et émotionnelle, elle définit un espace hors du temps mais profondément ancré dans notre époque, qui préfigure l'accélération vers le chaos des origines, en un cycle immuable. Une vision qui prend littéralement un sens métaphysique, à la limite de la prophétie. Si la matière se désagrège et se dilue, si elle porte les traces du passage éphémère de l'humanité, c'est pour mieux accentuer sa possible métamorphose, en une re-création indépendante à la fois des lois de la nature et de la main de l'homme.
Ses photographies marquent ainsi l'émergence d'une architecture arbitraire, sans but apparent ou signification directe, qui s'anime d'une vie propre, formes abstraites et anachroniques réinventées par la fantaisie des éléments. Dans cette géométrie spontanée, les éléments, qu'ils soient fluides ou solides, délimitent un univers à la fois onirique et réel, indifférent à notre existence. Les structures qui en résultent appartiennent à un processus créatif hors de notre compréhension de l'ordre du monde, naturel ou humain.
C'est cette existence parallèle que Francesca Piqueras a choisi d'explorer. Ce constat d'une extrême acuité invite à une relecture de notre époque, une mise en lumière de la contraction du temps lui-même, qui s'emballe et s'enraye dans une même mécanique, accèlère le passé et comprime le futur. Un temps de progrès qui broie et jugule indifféremment le feu, la roche, l'eau et les hommes. Entre les cicatrices à vif d'une transmutation brutale et la fragilité de notre condition humaine, les monuments improbables de Francesca Piqueras règnent en silence sur une scène absurde, et expriment avec force l'esthétique insolite, intemporelle, mais fondamentalement inventive d'une archéologie contemporaine.
Chacune de ses photographies vibre d'une sourde énergie empreinte de douceur, où les turbulences de l'homme et des éléments se télescopent et se répondent. Mais la violence symbolique de ces architectures conquérantes contraste avec une lumière subtile, toujours changeante, presque rebelle. Et cette lecture si particulière de la relation ambiguë entre l'humain et les paysages terrestres ou marins confère à cette narration onirique un équilibre délicat entre abstraction et figuration, où le temps n'est jamais figé mais seulement suspendu, encore indécis sur ce que réserve l'avenir.
BIOGRAPHIE
Francesca Piqueras est une artiste française d'origine italo-péruvienne née à Milan (Italie) de parents artistes, amis de Marcel Duchamp, Man Ray et Salvador Dali.
Elle commence à photographier dès l'âge de treize ans, étudie l'Histoire de l'Art et le Cinéma à Paris et entame une carrière de monteuse sur de nombreux longs métrages. De 2007 à 2010, elle expose ses premières séries noir et blanc, avant de passer à la couleur en 2011. Marquée par « Deserto Rosso », de Michelangelo Antonioni, elle affirme au fil des expositions annuelles sa vision atypique d'une archéologie industrielle contemporaine et rencontre l'adhésion d'un large public, des collectionneurs et de la presse. De l’Ecosse au Pérou, en passant par l’Italie, elle poursuit son projet artistique entre mer, ciel, métal et rouille : architecture militaire, plateformes pétrolières ou carrières de marbre sont autant de cicatrices qui témoignent silencieusement de la présence de l’humanité et de son impact sur le paysage.
« Je photographie ce que l’homme construit pour des raisons économiques ou guerrières. Pour ses besoins, l’homme construit des architectures incroyables dans des situations extrêmes et d’une façon qui peut être contestable. Mais mon propos n’est pas de dénoncer. Au contraire, la folie de l’homme, ses paradoxes et ses contradictions m’intéressent. Le point culminant de l’esthétisme de ces objets est, me semble t-il, quand la nature reprend ses droits. Le temps, la rouille, le délabrement réinventent ces architectures en sculptures et réécrivent poétiquement l’histoire de l’homme. Notre histoire ».
Francesca Piqueras